Lettre à Ma’ Rose
Une de mes grands-mères s’appelait Rose. Née au Cameroun sous le tyrannise de l’armée française, ma grand-mère a eu une vie très dure dès l’enfance.
Malgré tout, c’est un être qui a été aimé, qui a aimé et qui a énormément travaillé. En plus de travailler la terre avec ses enfants, elle était couturière.
Quand je pense au mois d’Octobre Rose, au cancer du sein et aux femmes qui se battent pour rester en vie, je pense à ma grand-mère dont le nom officiel républicain français était Rose.
Pour beaucoup de gens sur cette Terre, coudre : c’est rester en vie. Si on prend le temps de s’éloigner du glamour et du brillant de l’univers de la mode à la manière ouest-européenne, travailler dans la confection textile est pénible, demande de la rigueur, beaucoup de patience et un renouveau constant notamment quand on est dans la création sur-mesure.
Il y a des jours avec, et des jours sans commande, dans des pays sans sécurité sociale ni chômage. Tu travailles, tu manges (si on te paye à temps et le prix demandé). Tu ne travailles pas, tu ne manges pas. Et puis il y a tous ces esclaves…
La réalité que j’évoque est importante pour comprendre complètement ma volonté de prendre part à un univers où on crée en pensant au futur, en comprenant qu’il faut beaucoup de ressources pour donner vie à 1 vêtement, et qu’il y a beaucoup d’obstacles à franchir dans le processus. Coudre est un travail qui en général n’est pas pris au sérieux, et donc on trouve facilement son bonheur en consommant du neuf confectionné par des esclaves.
Consommer de seconde main dans un monde avec tant de textiles en abondance ne devrait pas être une impasse ni un ultimatum, mais un choix qu’on fait fièrement, en acceptant de partager la peine des travailleurs textiles pour les soulager un peu, et leur donner du respect que mérite quelqu’un qui nous habille, surtout quand on est soi-même dans l’incapacité de confectionner nos propres vêtements, sans lesquels on serait nu et on se sentirai vulnérable.
Les couturièr.e.s nous protègent au quotidien, ils nous fabriquent nos armures, les matelas sur lesquels on se repose, les serviettes avec lesquelles on se lave, les rideaux avec lesquels on protège notre intimité, nos vêtements quand nous venons à peine de sortir du ventre de notre mère…
Nous devons montrer notre gratitude, cultiver une attitude reconnaissante, car c’est cet état d’esprit qui nous aide à avancer malgré les peines de la vie. Comment être respecté.e.s quand on ne peut pas respecter les autres ?
« Malgré tout ce que j’ai traversé, je suis reconnaissante de tout ce que j’ai pu accomplir de bon, de l’amour que j’ai semé et puis que j’ai récolté. » La leçon de ma feu grand-mère Rose.
*Ce qu’a connu feu maman/Ma’ Rose en résumé : de la torture, des meurtres, un génocide, plusieurs périodes d’esclavage.